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Charles Nègre, photographe-artiste grassois

  • Photo du rédacteur: Tom Richardson
    Tom Richardson
  • 14 août
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 août

Sur un mur à côté de notre nouvelle Médiathèque se trouve une grande image, parfois confondue avec celle de Che Guevara. Il s'agit en réalité de Charles Nègre* , qui a donné son nom à la bibliothèque, un Grassois de naissance dont les traces se trouvent partout en ville. Vous pouvez admirer certaines de ses œuvres au Musée d'Art et d'Histoire de Provence (MAHP ), rue Mirabeau, et le Musée de la Photographie de Nice , place Gautier, porte son nom.

Portrait de rue de Charles Nègre à côté de la Médiathèque par artiste portugais Vhils
Portrait de rue de Charles Nègre à côté de la Médiathèque par l'artiste portugais Vhils. L'image pourrait être plus claire - le problème est que la technique de gravure de Vhils, qui révèle un enduit blanc sous un mur noir, nécessite un nettoyage régulier pour maintenir le contraste.

Nègre était un artiste compétent, mais un photographe quasi génial qui combinait prouesse technique et compétences acquises en peinture pour produire des images qui se démarquent encore aujourd'hui.


La maison natale de Nègre dans la rue des Suisses (aujourd'hui rue Charles Nègre) derrière l'actuelle Médiathèque.  La vitrine de la confiserie familiale se trouvait à gauche de la porte.
La maison natale de Nègre dans la rue des Suisses (aujourd'hui rue Charles Nègre) derrière l'actuelle Médiathèque. La vitrine de la confiserie familiale se trouvait à gauche de la porte.

Il est né à Grasse en 1820 d'un père d'origine italienne (le grand-père de Charles, Carlo Negri, était venu à Grasse des environs de Milan) et d'une mère issue d'une vieille famille locale, les Isnard.


L'entreprise de confiserie familiale leur a permis de prospérer suffisamment pour envoyer Charles chez un professeur d'art à Aix-en-Provence à l'âge de 17 ans, puis aux Beaux-Arts de Paris en 1839 pour travailler, entre autres, sous la direction d'Ingres.


En 1844, l'un de ses professeurs l'initie à la nouvelle technologie de la photographie, qu'il considère comme un outil potentiel pour la création picturale. Nègre décide alors d'y voir un médium d'avenir. Il poursuit sa carrière de peintre tout en expérimentant et en développant de nouvelles techniques photographiques.


Les peintures de Nègre à Grasse

Plusieurs tableaux de Nègre sont conservés au MAHP. Certains, comme celui de sa sœur Anne (l'air plutôt sombre !), ont manifestement été peints pour des raisons personnelles, et on soupçonne que d'autres, comme son portrait du général Gazan (voir mon blog ici ) et certainement sa copie d'un portrait Winterhalter du roi Louis-Philippe (à la Villa Fragonard), ont été peints simplement pour subvenir à ses besoins.

Charles Nègre : sa sœur Anne Cartier et le roi Louis-Philippe
Charles Nègre : sa sœur Anne Cartier (au MAHP) et le roi Louis-Philippe (Villa Musée Fragonard)

Deux d'entre eux sont intéressants pour d'autres raisons. Il acheva sa « Mort de saint Paul, dit le premier ermite » en 1847 et l'exposa aux Salons parisiens de 1848 et 1850, où elle fut achetée 600 francs et offerte à la cathédrale.

Charles Nègre : Mort de saint Paul l'Anachorète (dit le premier ermite), 1847, cathédrale de Grasse
Mort de saint Paul (dit le premier ermite), 1847, cathédrale de Grasse

Or, ce saint Paul-là, s'il a existé, n'a jamais quitté l'Égypte, mais les falaises du tableau de Nègre peuvent être identifiées comme celles de Roquebrune, facilement visibles aujourd'hui depuis l'autoroute A8. Sa sœur Anne vivait à proximité avec son mari, au Muy !


Dans une alcôve de ce qui était la chambre de la maîtresse du MAHP (l'ancien hôtel particulier de Cabris-Claviers) se trouve une image un peu rébarbative intitulée « Le Suffrage Universel ».

Charles Nègre : Suffrage universel, 1848, MAHP
Le Suffrage Universel, 1848, MAHP

Il s'agit en réalité d'un reflet des troubles qui ont secoué l'Europe lors de « l'Année des Révolutions » de 1848, qui a transformé le royaume de Louis-Philippe en Première République. Nègre, apparemment devenu un républicain convaincu malgré ses origines royalistes du Sud, l'a peint pour participer à un concours intitulé « La Figure symbolique de la République ». La figure masculine symbolise la force du peuple français. Une autre version représente une urne pour souligner l'importance de la démocratie.


Il n'a pas été retenu, même le jury de présélection l'a rejeté.


Expertise en photographie

En 1849, Nègre commença à travailler dans un nouvel atelier photographique créé par un autre peintre, Gustave le Gray, et utilisé par lui et d'autres artistes. La nouvelle technologie développée par l'Anglais William Fox Talbot, connue sous le nom de « calotype », semble en avoir été le moteur.


L'abbaye de Lacock abrite le musée Scott Talbot
L'abbaye de Lacock abrite le musée de la photographie Scott Talbot (image de https://foxtalbot.co.uk)

Si le daguerréotype de Louis Daguerre (où des images individuelles sont développées sur du cuivre scellé sous verre) fut la première photographie, le calotype permit de transférer des négatifs sur papier et d'en produire plusieurs exemplaires. Le musée Fox Talbot, situé dans le village historique de Lacock, dans le Wiltshire (un lieu prisé des réalisateurs de séries historiques télévisées !), commémore ce procédé.


Ceux qui travaillaient dans l'atelier de Gray, dont Nègre, se considéraient comme des photographes-artistes. Nègre utilisait régulièrement ses talents de peintre pour retoucher et modifier ses négatifs au crayon graphite ou à la poudre – bien avant Photoshop ! Il adopta plus tard une nouvelle technologie venue d'Angleterre, le procédé au collodion de Frederick Scott Archer, qui permettait d'obtenir des images plus détaillées et en niveaux de gris. Il acquit manifestement des connaissances en physique et en chimie nécessaires et développa son propre procédé breveté, un croisement entre la photographie et la gravure, connu sous le nom de gravure héliographique.


Deux de ses images les plus célèbres sont « Les Ramoneurs en Marche », l'une des premières photographies de rue, qui a fait sensation grâce à son sens du mouvement, et « Le Stryge », une statue de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui est encore aujourd'hui magnifique.

Charles Nègre : "Les Ramoneurs en Marche", 1851 (à gauche) ; "Le Stryge", 1853 (à droite)
"Les Ramoneurs en March", 1851 (à gauche); "Le Stryge", 1853 (à droite)

Nègre dans le sud

En 1852, après avoir accepté un poste d'enseignant à Paris pour compléter les revenus de l'entreprise familiale à Grasse, il fit un tour de Provence pour réaliser un album de photographies intitulé « Le Midi de la France ». Il comprend une image assez floue de la place aux Aires et une image saisissante de Saint-Cézaire-sur-Siagne.

Charles Nègre : St Cézaire-sur-Siagne, 1852 (archives de Grasse)
St Cézaire-sur-Siagne, 1852 (archives de Grasse)

C'est l'échec de la publication de l'album (un seul exemplaire subsiste) qui l'a poussé à développer sa méthode de gravure héliographique, une méthode de reproduction fiable, bien que coûteuse.


Nègre n'a visiblement jamais oublié ses origines et rendait régulièrement visite à sa famille à Grasse.

Charles Nègre : groupe familial, 1860
Groupe familial, 1860 (Archives de Grasse). Charles, âgé de 40 ans, est le quatrième en partant de la gauche au dernier rang. L'image comprend plusieurs Isnard.

À partir de 1860, il séjourna davantage dans le Midi. En 1863, il devint professeur au Lycée Impérial de Nice, récemment rattaché à la France. Comme Renoir, ce déménagement était en partie dû à des raisons de santé. Dès lors, il réalisa un grand nombre de photographies du sud-est de la France, tout en continuant à peindre. Dans une de ses lettres, il écrit : « Je reviens à mes chers pinceaux », et il renouait parfois avec son intérêt initial pour la photographie, comme méthode d'initiation à la peinture.


Les photographies de Grasse de Nègre

Une fois installé à Nice, il est évident que Nègre se rendait régulièrement à Grasse, emportant son appareil avec lui. Il photographia plusieurs rues de sa ville natale, dont deux sont présentées ci-dessous, comparées à leur aspect actuel.

Charles Nègre : croisement de l'avenue Ste Lorette et du bd Victor Hugo
Jonction de l'av Ste Lorette et du bd Victor Hugo vers 1865 (MAHP). L'av Ste-Lorette était la voie principale assez sinueuse qui permettait d'accéder à Grasse par le sud. Lorsque l'actuel bd Victor Hugo (baptisé ainsi en 1891) a été construit en 1847, l'av Ste Lorette s'y est fondue à cet endroit.
Charles Nègre : Place de la Foux en 1870 (Archives de Grasse).
Place de la Foux en 1870 (Archives de Grasse). Le Grasse moderne est beaucoup plus respectueux des arbres qu'en 1865, peut-être parce que les racines des arbres bloquant les canaux de la Foux étaient un problème potentiel à l'époque. Il y a également une prolifération de plaques de rue aujourd'hui. À gauche, les bâtiments de la Terrasse Tressemannes sont maintenant à peine visibles d'ici. L'immeuble au centre avec la bannière est le 2, place de la Foux, qui abrite toujours un café-restaurant au rez-de-chaussée. L'hôtel Victoria d'origine (aujourd'hui des bureaux) est visible à l'extrême droite. Il a été déplacé successivement à la Place Neuve puis à l'avenue Riou Blanquet.

L'image de Nègre est presque une photographie promotionnelle pour une confiserie. Le 2, place de la Foux fut construit par le grand-père de Charles, Carlo, et la confiserie Manent, qui se trouvait là, était dirigée par son cousin, Charles Manent. L'âme de l'entreprise familiale de Nègre, dont la publicité est affichée sur le pignon à droite, était Joseph, le frère de Charles.


Quartier des Moulins

Pour moi, le tableau le plus marquant de Nègre est son « Quartier des Moulins » des années 1860 exposé au MAHP, qui figure également sur un lutrin du boulevard Gambetta. Il est minuscule, seulement 21 cm sur 17 cm, et il est exposé au MAHP, dans la salle « Artistes du Midi », plutôt qu'avec les autres tableaux de Nègre, dont la plupart datent du début de sa carrière.

Charles Nègre : Quartier des Moulins.
Quartier des Moulins. (à gauche) Peinture 1860 (MAHP), huile sur bois. (à droite) Photographie 1852 (Archives de Grasse)

Son inspiration est clairement sa photographie de 1852 et, selon les archives du Ministère de la Culture, la tradition familiale veut que le tableau ait été créé directement à partir de la photographie.


Un conservateur du Musée d’art moderne de New York est frappé par « la géométrie de sa composition – la route zigzaguant sur la page jusqu’à un rendu presque cubiste des moulins et des maisons ».


Charles Nègre : selfie 1860
Charles Nègre : un selfie posé?

Lien avec Nice et mort à Grasse

Nègre possédait un studio photographique rue Chauvain à Nice. Son autoportrait ici donne un aperçu des accessoires qu'il y conservait pour offrir à ses clients fortunés des images d'eux-mêmes dignes de ce nom.


Plusieurs de ses images de paysages et d'urbanisme autour de Nice sont conservées au Musée de la Photographie qui lui rend hommage.


Il prit sa retraite d'enseignant en 1878 pour raisons de santé et fut décoré de l'Ordre des Palmes académiques pour ses services. Il retourna à Grasse, où il mourut à l'âge de 59 ans, en janvier 1880, dans sa maison natale. Sa tombe se trouve au cimetière Sainte-Brigitte.


*J'ai trouvé un livre 2021 d'Alain Sabatier et Christian Zerry, 'Charles Nègre : La Révolution Photographique' (Éditions Campanile) très utile en recherchant cet article.

 
 
 

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