La Villa Noailles de Grasse
- Tom Richardson
- 5 mai
- 6 min de lecture
La Villa Noailles à Hyères est un chef-d'œuvre moderniste et l'une des attractions phares de la Côte d'Azur. Mais Grasse possède sa propre Villa Noailles, dont l'histoire est au moins aussi passionnante.
Ferdinand Bac et la Villa Croisset
En 1908, Ferdinand Bac, peintre, caricaturiste, décorateur et critique d'art, visita une maison avenue Guy de Maupassant, alors connue sous le nom d'Ermitage de Saint-François. Il fut bouleversé : « Pour moi, c'était l'un des derniers survivants d'une tradition mourante, et la révélation de cette beauté humble, si en harmonie avec son terroir, m'émut . » Vous pouvez voir ci-dessous à quoi ressemblait la maison pour un artiste quelques années après sa visite par Bac, en 1922, et à quoi elle ressemble aujourd'hui, aujourd'hui connue sous le nom de Villa Noailles.

De l'autre côté de Grasse, sur la route de Magagnosc, se trouvait la résidence d'hiver d'une certaine Marie-Thérèse de Chevigné. Sa maison avait été construite en 1885 sous le nom de Villa Isabelle par John Bowes, millionnaire du coton de Liverpool. Il finança également la construction d'une église anglicane en bordure de ses terres. Elle existe toujours aujourd'hui, sous le nom de Chapelle Victoria.
Marie-Thérèse acheta la maison, soi-disant parce que le climat grassois serait bénéfique pour la santé de sa fille unique issue de son premier mariage, Marie-Laure Bischoffsheim. En 1910, elle épousa son second mari, un dramaturge belge qui avait changé son nom de naissance de Franz Wiener en celui, beaucoup plus prestigieux, de Francis de Croisset.
Bac n'était pas impressionné par l'ancienne Villa Isabella. Il affirma qu'en 1912, lors d'un dîner, il proposa à Marie-Thérèse de transformer sa « maison sans caractère » et d'y créer un véritable jardin méditerranéen. Malgré son manque total d'expérience en matière d'architecture d'intérieur et de jardin, elle accepta, et son illumination à l'Ermitage de Saint-François donna naissance à une nouvelle Villa Croisset. Sa conception était un « style panméditerranéen », avec « une succession d'arcades, de cours, de jardins clos, à travers lesquels on pouvait percevoir, dans une douce captivité, l'enchantement d'une nature ».

La nouvelle villa fut construite et ses jardins de rêve aménagés entre 1913 et 1922. Bac et la Villa Croisset font l'objet d'un livre récemment publié¹ par l'un de nos historiens locaux, Christian Zerry. Malheureusement, il n'est disponible qu'en français, mais il comporte de nombreuses illustrations de la Villa et des créations de Bac.

L'extraordinaire domaine créé par Bac fut détruit en 1975 et remplacé par des appartements. Il ne reste qu'une chapelle entourée de ce qui était autrefois une petite partie des jardins.
Marie-Laure de Noailles
Fille de Marie-Thérèse issue d'un premier mariage, Marie-Laure, dont le père était décédé en bas âge, hérita de la fortune bancaire de son grand-père à l'âge de sept ans. En 1923, elle épousa un aristocrate, Charles, vicomte de Noailles. Le couple s'installa dans la maison de son grand-père à Paris et elle se lança dans une fabuleuse carrière de mécène, de multiples liaisons amoureuses et, après 1929, d'excentricités grossières, apparemment motivées par le fait d'avoir surpris son mari au lit avec son entraîneur personnel. Charles, passionné de jardins, avait quant à lui acheté le vieil Ermitage de Saint-François, sans doute au courant par Ferdinand Bac.

Elle et Charles firent construire la Villa Noailles, près d'Hyères, selon les plans de l'architecte et designer moderniste Robert Mallet-Stevens, après que Le Corbusier et Mies van der Rohe, selon certaines sources, aient refusé le projet. Ils y accueillirent de nombreux talents contemporains, dont Dali, Man Ray, Max Ernst, Cocteau, Poulenc, Cecil Beaton et André Gide. Ils financèrent le film de Buñuel, célèbre à l'époque, « L'Âge d'Or ». Dali et Picasso peignirent Marie-Laure et Ray la photographia. Aujourd'hui encore, la Villa Noailles de Hyères est un centre d'art et un symbole du modernisme des années 1920.
Robert Mallet-Stevens, tout à fait atypique pour un architecte et designer de riches clients privés, fut amené à concevoir le nouveau théâtre de Grasse en 1928, bd du Jeu de Ballon (voir ici ), et on ne peut s'empêcher de penser que Marie-Laure et Charles y étaient pour quelque chose.
Les Noailles vivaient à Paris, passant leurs vacances à Hyères avec une clientèle variée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Marie-Laure réussit à rester à Paris sous l'Occupation, mais Charles se réfugia sur la Côte d'Azur. En 1947, ne souhaitant visiblement pas renouer avec Marie-Laure, de toute façon très engagée ailleurs, il s'installa à l'Ermitage, rebaptisé, de manière assez confuse, Villa Noailles.
Villa Noailles : la version grassoise
On raconte, peut-être sur une source douteuse, que Marie-Laure, lorsqu'on lui demandait : « Qui Charles préfère-t-il, les hommes ou les femmes ? », aurait répondu : « Il aime les fleurs. » Vrai ou faux, il consacra sa vie, jusqu'à sa mort en 1981, au jardin de Grasse. Mon voisin se souvient bien de l'avoir vu à l'église.
Le jardin de notre Villa Noailles n'est aujourd'hui ouvert que brièvement les vendredis après-midi d'avril et de mai et n'a plus tout à fait le même aspect qu'autrefois, malgré les efforts de ses jardiniers. Il compte plus de trois hectares de culture, et il doit être impossible de l'entretenir comme Charles de Noailles l'a fait.
Mais il vaut quand même le détour. Comme les moulins des Ribes qui l'entourent, sa vie dépend des sources abondantes du massif de Roquevignon, et l'eau coule partout. Charles disait de lui : « Il y a des jardins qu'on dit parfumés. Je dirais que celui-ci chante . »

On y trouve au moins vingt jeux d'eau, un grand massif de pivoines, une pergola d'arbres de Judée, un parterre de lavande et une variété de magnolias et autres arbustes à fleurs. En contrebas et autour des jardins arborés s'étend une grande oliveraie regorgeant de fleurs printanières.
La connexion anglaise
Charles de Noailles était vice-président de la Royal Horticultural Society du Royaume-Uni, et ses jardins seraient d'inspiration anglaise. Il connaissait le prolifique paysagiste anglais Russell Page, qui avait conçu le jardin du Domaine Saint-Jacques du Couloubrier à seulement cinq kilomètres de là, et qui aurait suggéré la pergola de l'arbre de Judée. Un autre ami britannique était Lawrence Johnston, propriétaire des célèbres jardins de Hidcote Manor dans le Gloucestershire et de Serre de la Madone à Menton.
Charles était lui-même une sommité en matière de jardins. Vers la fin de sa vie, il publia un ouvrage de référence intitulé « Plantes de Jardins Méditerranéens »², en collaboration avec un autre membre de la RHS, Roy Lancaster.

Roy, qui est toujours en pleine forme à 88 ans, a été co-présentateur de l'émission télévisée de longue date de la BBC « Gardeners' World » (aujourd'hui animée par Monty Don) et a été un pilier de l'émission encore plus longue de la BBC Radio (depuis 1947 !), « Gardeners' Question Time ».

L'ouvrage de Roy Lancaster et Charles de Noailles présente des images des jardins de la Villa Noailles, de La Garoupe, de Vintimille (Hanbury) et de Roquebrune. Il constitue par ailleurs une référence en matière de plantes de jardins méditerranéens, avec d'excellentes photographies. La photo de Charles de Noailles a été prise par une autre jardinière (et photographe) anglaise, Valerie Finnis, et figure dans une collection léguée par elle à la Royal Horticultural Society.
(1) ' Ferdinand Bac sur la Riviera ' Christian Zerry (2024, Editions Campanile).
(2) ' Plantes de Jardins Méditerranéens ', Le Vicomte de Noailles et Roy Lancaster, Larousse, 1977
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