Oscar Niemeyer – un Super-Grasse qui n'a jamais existé
- Tom Richardson
- 3 oct. 2024
- 3 min de lecture
Sur la route Napoléon, bien au-dessus de Grasse, on peut apercevoir le spectacle remarquable, quoique plutôt isolé, d'un plongeoir imposant des années 1960 surplombant une piscine extérieure de 50 mètres aux dimensions quasi olympiques.

Il s'agit de l'Altitude 500, actuellement fermé jusqu'en 2026 pour une rénovation complète.
Un peu plus à l'ouest, accessible par la route de Cabris qui quitte la route Napoléon environ 400 mètres avant l'altitude 500, se trouve le parc naturel départemental de Roquevignon, relativement récent, avec des sentiers de randonnée et un espace de remise en forme. Entre les deux, on trouve une station de recherche isolée appartenant à ACRI-ST, société d'observation satellitaire (la route qui y mène porte, à juste titre, le nom de Nicolas Copernic)... et guère plus, comme le montre la vue depuis l'Aire du Chêne de l'Empereur sur la route Napoléon, au-dessus de la zone.

Mais si l'un des architectes les plus célèbres du XXe siècle, Oscar Niemeyer (connu pour avoir conçu Brasilia), avait eu gain de cause, la situation serait aujourd'hui bien différente.
Le complexe aquatique Altitude 500 et l'Espace Culturel adjacent se situent à l'extrémité est du site de Super-Grasse, projet de ville nouvelle conçu par Niemeyer. Ce projet devait s'inscrire dans une ZUP (« zone à urbaniser en priorité »), un programme gouvernemental mis en œuvre de 1959 à 1967 visant à créer des ensembles résidentiels neufs sur des terrains vierges. L'objectif était de remédier à une grave pénurie de logements, exacerbée dans le sud de la France par l'afflux de réfugiés algériens « pieds-noirs ». La ZUP de Roquevignon a été créée en 1962.
Oscar Niemeyer arriva en France en 1965, exilé du Brésil : ses idées de gauche engagées étaient très mal vues par le régime militaire brésilien de l’époque. Son projet de Super-Grasse, une ville du futur, prévoyait 2 000 logements, une place centrale, une église, des commerces, des écoles, des crèches, un cinéma, un centre de jeunesse et même un stade de football, ainsi que d’autres installations sportives. Elle devait être piétonne – un concept assez radical dans les années soixante – et un chemin de fer à crémaillère devait relier Super-Grasse à Grasse. L’ensemble du quartier devait ressembler à ceci :

L'objectif déclaré de Niemeyer était de créer un environnement à échelle humaine et intime, tant sur le plan physique que spirituel.
Mais il semble avoir souffert du même malaise que la plupart des architectes des années soixante (y compris, bien sûr, au Royaume-Uni et aux États-Unis) : pour ses appartements, il a conçu des immeubles verticaux, avec trois tours de seize étages. Son terrain étant beaucoup moins exigu que beaucoup d’autres, on peut supposer que sa motivation était de supprimer la circulation automobile dans la ville nouvelle.
Le projet fut abandonné en 1972 faute de financement (ou peut-être pour d'autres raisons : cela reste flou). Seuls la piscine Altitude 500 et le centre de jeunesse (aujourd'hui centre culturel) furent construits, selon les plans d'un autre architecte, Léon Loschetter. Cette carte postale de 1982 montre la piscine à son apogée.

À en juger par l'état actuel de certaines autres ZUP (par exemple le quartier des Moulins à Nice ou Le Canet-Malpassé à Marseille, tous deux connus pour leurs problèmes sociaux), Grasse a peut-être échappé de justesse à la catastrophe, même si l'accent mis par Oscar Niemeyer sur une conception à échelle humaine et la situation de Super-Grasse sur ce site extraordinaire surplombant la ville auraient peut-être mieux fonctionné.
De nombreux dessins d'Oscar Niemeyer pour Super-Grasse sont encore conservés aux Archives communales de Grasse, mais certains ont rejoint, chose surprenante, le Museum of Modern Art (MomA) de New York. L'un d'eux est actuellement visible ici .
Le bâtiment Altitude 500 va être restructuré, et la première phase consiste en le désamiantage.

Un projet dont la finalisation est prévue pour 2026 comprendra un bassin de 50 mètres, une piscine intérieure de 25 mètres, un bassin pour les tout-petits et une aire de jeux extérieure, ainsi qu'un nouveau bâtiment abritant l'accueil, les vestiaires et l'administration. La terrasse panoramique sera dotée d'un espace de restauration et de plages immergées. Elle sera utilisée par toutes les écoles locales et ouverte au public.
Le vieux plongeoir sera démoli aujourd'hui, sans doute pour des raisons de sécurité. Les jeunes hommes qui se pressaient autour du plongeoir sur la photo de 1982 devront trouver un autre endroit pour leurs sensations fortes. Il semblerait que l'on veuille utiliser la structure pour y installer une grande enseigne « Altitude 500 », donc au moins, elle survivra.
Grasse est parfaitement conscient de l'héritage perdu d'Oscar Niemeyer – voir par exemple le magazine Kiosque de 2017ici – et nul doute que la réouverture d'Altitude 500 lui rendra hommage. Mais peut-être son ambition, dans ce cas précis, est-elle allée un peu trop loin ?

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