top of page

Rue Tracastel : l'histoire de Grasse en miniature

  • Photo du rédacteur: Tom Richardson
    Tom Richardson
  • 31 mars
  • 6 min de lecture

Si vous longez la rue Droite de Grasse (appelée rue Jean Ossola à l'entrée ouest), vous vous arrêterez peut-être au Croissant Rose sans remarquer la rue Tracastel qui se trouve derrière. Pourtant, cette rue, longue de 250 mètres seulement et peu engageante par endroits, résume une grande partie de l'histoire de Grasse : ses fortifications, son accès à l'eau, ses édifices religieux, le développement de l'industrie du parfum, le peintre le plus éminent de Grasse, un ancien pensionnat et un acte d'héroïsme prolongé pendant la Seconde Guerre mondiale.

Plan de la rue Tracastel, Grasse

La rue faisait à l'origine partie du dispositif de sécurité de Grasse. Son nom, selon une carte reconstituée de Grasse au XVe siècle, est une déformation de Carreria Retro Castellum, signifiant « hors du château », car il s'agissait du fossé défensif situé juste en dessous de la citadelle grassoise du Puy, entourée par la première enceinte.

Maquette du Puy, Grasse
Maquette de l'implantation originelle du Puy, montrant le mur d'enceinte en contrebas de la citadelle, à l'emplacement actuel de la rue Tracastel. Maison du Patrimoine, 22 rue de l'Oratoire

Même lorsque la première enceinte fut agrandie pour couvrir l'habitat au nord du Puy, le fossé demeura à l'extérieur. Ce n'est qu'avec l'extension des remparts, au début du XIVe siècle, que l'ancien fossé devint une rue à l'intérieur des remparts. En descendant la montée Tracastel et en remontant le Travers Vauban, on constate la solidité de la défense de la citadelle d'origine, renforcée par une pente abrupte, le fossé agissant comme un moyen de dissuasion supplémentaire.


Suite à l'extension, la rue Tracastel menait à la porte sud-est de la ville, la Porte Saint Michel, tandis que les marches du Travers Vauban menant à la Cathédrale commémorent le grand architecte militaire de Louis XIV - Grasse était à la frontière de la France à son époque (1633-1707).


L'approvisionnement en eau de la ville

Avoir de solides défenses était une bonne chose, mais l'approvisionnement en eau était essentiel au développement de Grasse, et la rue Tracastel était, comme toutes les rues de la vieille ville, alimentée par la source de la Foux. Aujourd'hui, seules deux fontaines du XIXe siècle sont visibles, mais elles sont toujours reliées au réseau d'abreuvoirs et de canalisations de la ville, qui coulent sous et à côté des rues. La plus petite des deux est visible devant le numéro 8. On la retrouve ici aujourd'hui, à côté d'une photographie d'avant la Première Guerre mondiale, qui suggère que la rue Tracastel était beaucoup plus peuplée à cette époque.

Rue Tracastel Grasse 1910 et aujourd'hui

La fontaine la plus impressionnante se trouve au bas de la rue à côté du Mont de Piété et date de 1829.

Mont de Piété Grasse
Mont de Piété

Le Mont de Piété est l'un des deux seuls édifices religieux subsistant dans la rue. Il aurait été déplacé à travers la ville avant d'arriver ici, ce qui pourrait expliquer une erreur d'impression dans la pierre : « de Piété » a été gravé à tort en « de Pitié » !


L'industrie du parfum

Derrière la façade plutôt délabrée du n° 4 se cache un exemple classique de l'influence de l'industrie de la parfumerie sur la ville. Le bâtiment faisait initialement partie d'un couvent d'Ursulines, évacué de force et nationalisé pendant la Révolution. L'enfleurage, procédé d'extraction des essences de fleurs, nécessitait main-d'œuvre et espace. Les bâtiments religieux reconvertis, comme celui-ci, étaient idéaux, et il fut donc repris en 1820 par la parfumerie familiale Niel.


Ce qui distingue Niel, c'est qu'au lieu de quitter la vieille ville à la fin du XIXe siècle comme d'autres l'ont fait, l'entreprise a pu agrandir ses locaux à partir des années 1870 dans de nouveaux bâtiments, le long de la rue Barri, perpendiculaire à l'ancien couvent. Voici la rue Barri, qui monte du boulevard Fragonard, en 1905, avec la cheminée de la parfumerie Niel visible (au-dessus de la balustrade, à gauche de l'image) :

Rue Barri Grasse en 1905 avec l'ancienne parfumerie Jean Niel

Aujourd'hui, la cheminée a disparu et il reste une façade moderne avec une baie vitrée, qui faisait partie des améliorations apportées jusqu'aux années 1940.

La rue Barri Grasse aujourd'hui

Le site resta en activité jusque dans les années 1970. Comme toutes ses concurrentes, la SAS Jean Niel déménagea finalement dans de nouveaux locaux au sud de la ville. Non seulement elle existe toujours et prospère, mais elle le fait sous la direction et le contrôle des descendants directs du fondateur. Vous pouvez consulter un résumé de son histoire sur son site web ici .


L'ancien site est en grande partie abandonné : l'année dernière, il a été le principal sujet d'une demande de la ville pour la création d'un nouveau centre culturel, dans le cadre du programme gouvernemental « Réinventons nos cœurs de villes », mais la demande n'a apparemment pas abouti. La difficulté est clairement de savoir quoi faire d'un bâtiment industriel aussi gigantesque au milieu des ruelles étroites de Grasse.

Jean Niel n'était pas le seul parfumeur de la rue Tracastel. En 1883, les frères Warrick de Londres installèrent une fabrique au numéro 48, dans un autre édifice religieux, en l'occurrence un séminaire. Si vous recherchez « Warrick Frères » sur Google, vous trouverez toutes sortes de flacons de parfum : si Londres était leur siège social, ils possédaient également un bureau de vente à New York. Leur immeuble est mieux visible depuis la place Saint-Martin, au-dessus. Ce qui est aujourd'hui un ensemble d'appartements était, comme souvent à Grasse, la résidence des propriétaires intégrée à la fabrique, avec une vue magnifique sur le Plan de Grasse.

Bâtiment de la parfumerie Warrick Frères Grasse
Ancienne parfumerie Warrick Frères

Fragonard

En face du numéro 48, c'est au numéro 23 que naquit le 7 avril 1732 le peintre grassois le plus connu, Jean-Honoré Fragonard, comme l'indique la plaque commémorative à l'extérieur. Plus d'informations sur lui sur mon blog ici .


L'école

L'ancien couvent des Ursulines ne fut pas entièrement intégré au site Niel. Apparemment abandonnés pendant près d'un siècle, le jardin, le cloître et les bâtiments attenants à la rue aux numéros 6 et 8 furent réoccupés en 1901. Un autre ordre religieux, toujours existant aujourd'hui, les Sœurs de Saint-Thomas de Villeneuve, s'y installa et l'on peut admirer leur chapelle, derrière une porte sculptée honteusement négligée , au numéro 8.

Entrée du numéro 6 rue Tracastel Grasse, anciennement lycée de filles Jeanne d'Arc
Entrée du pensionnat Jeanne d'Arc

L'œuvre principale de l'ordre était l'éducation des jeunes filles des pauvres, et elles instauraient un pensionnat connu plus tard sous le nom de Pensionnat Sainte-Jeanne, avec son entrée au numéro 6. Derrière l'entrée, l'ancien cloître et le jardin des Ursulines constituaient la cour de l'école.


Le site n'a fermé ses portes qu'en 2018, lorsque l'école a été transférée dans un nouveau bâtiment au sein de l'Institut Fénelon. On trouve sur Internet de nombreux témoignages d'anciens élèves, qui se souviennent manifestement de leur scolarité avec affection et respect.


Réseau Marcel

Mais un mémorial plus poignant a récemment été érigé devant le numéro 6, reflétant un épisode héroïque de la vie de l'école et de Grasse. En 1943, après l'armistice entre l'Italie et les Alliés, les nazis occupèrent Grasse, mettant la population juive de la ville en danger de mort. Le siège de la Gestapo se trouvait à moins de 300 mètres de la rue Tracastel, juste de l'autre côté du Cours.

Réseau Marcel Grasse Pensionnat Jeanne d'Arc

Vous trouverez des informations sur le Réseau Marcel et ses extraordinaires responsables juifs, catholiques et protestants ici. Les six filles, sous de faux noms, ont survécu, cachées parmi leurs camarades catholiques, dans l'école.


Les deux responsables juifs, une Parisienne nommée Odette Rosenstock et un immigré syrien nommé Moussa Abadi, bénéficiaient de l'aide directe d'un prêtre catholique et d'un pasteur protestant. Ils bénéficiaient de la complicité active de l'évêque de Nice. Odette Rosenstock survécut à Auschwitz et à Bergen-Belsen. Odette et Moussa se marièrent en 1959, et elle se suicida en 1999, deux ans après la mort de son mari.


Selon un livre de 2016 (The Marcel Network, Fred Coleman, Potomac Books), Marcel a sauvé 527 enfants des nazis. Aujourd'hui, il existe toujours une association nommée Les Enfants et Amis Abadi, fondée par l'une des six filles cachées au Pensionnat Sainte-Jeanne.


La rue Tracastel est véritablement l'une des rues les plus historiques de Grasse, mais son implication avec le Réseau Marcel doit sûrement être son moment de plus grande fierté.


Mise à jour de juin 2025

Le maire, Jérôme Viaud, vient d'annoncer que, grâce à la générosité d'un donateur, la porte « honteusement négligée » de la chapelle Saint-Thomas de Villeneuve va être restaurée dans son éclat d'antan.


 porte de la chapelle Saint-Thomas de Villeneuve, Grasse
La porte de la chapelle aujourd'hui. La moitié inférieure est encore pire, avec une bande de contreplaqué clouée en travers !

Les travaux seront financés par Mme Odile Fanton d'Andon, issue, comme il se doit, d'une famille grassoise ayant une longue histoire dans la ville.


 
 
 

Commentaires


bottom of page