Un Vicar of Bray à Grasse
- Tom Richardson
- 15 oct. 2024
- 5 min de lecture
« The Vicar of Bray » est une célèbre chanson satirique anglaise du XVIIIe siècle qui décrit comment un prêtre de paroisse anglais fictif a changé ses principes et ses allégeances au cours des règnes de plusieurs monarques anglais, afin de conserver son poste. Vous trouverez une traduction de ses couplets et quelques notes à la fin de cet post ici.
Il me semble qu'un personnage important de Grasse, Maximin Isnard, était une version réelle de lui, pendant et après la Révolution. Pour voir où commence son histoire, il suffit d'aller sur la place des Aires au milieu de la vieille ville et vous verrez la maison Isnard à l'extrémité est :

Il y a une plaque d'identification qui indique que la maison est importante, mais elle ne raconte pas toute l'histoire.

En septembre 1791, à l'âge de 35 ans, Maximin fut élu à l'Assemblée législative, deuxième assemblée parlementaire de la période révolutionnaire, comme député du tout nouveau département du Var, qui comprenait Grasse. Il siégeait à l'extrême gauche, farouchement anticléricale, souhaitait propager la révolution à d'autres pays et nourrissait une grande méfiance envers Louis XVI, encore roi de France de nom.
En septembre 1792, à la suite du coup d'État d'août au cours duquel la famille royale fut emprisonnée au Temple, il fut élu à l'organisme successeur de l'Assemblée législative, la Convention nationale, dont il devint président en mai 1793. Il joua un rôle déterminant dans la création du tristement célèbre Comité de salut public en janvier 1793 et vota pour la mort du roi.
Mais à cette époque, l'extrême gauche s'était scindée entre les Jacobins d'origine, connus sous le nom de « Montagnards », dominés par les Parisiens qui réclamaient un contrôle central complet du pays, et les « Girondins », plus à droite, favorables à un gouvernement plus décentralisé. Maximin occupait une place importante dans cette dernière faction et est célèbre pour avoir déclaré, en réponse aux revendications des Jacobins : « Si par ces insurrections toujours renaissantes il arrivait qu'on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, au nom de la France entière, Paris serait anéanti… ».

Lorsque Maximilien Robespierre et ses Montagnards triomphèrent et que la Terreur débuta en septembre 1793, Maximin s'enfuit pour sauver sa vie et ne revint à la Convention qu'en décembre 1794, bien après l'exécution de Robespierre. Il était alors considéré comme un homme de droite révolutionnaire. En octobre 1795, il fut réélu député du Var au Conseil des Cinq-Cents, le nouveau corps législatif né de la Révolution.
Mais dès 1797, il s'était associé à Jean-Charles Pichegru, véritable chef de file de l'aile droite et monarchiste du Conseil. Après un nouveau coup d'État de la gauche en septembre, soutenu cette fois par Napoléon Bonaparte, il évita les représailles des républicains triomphants en rentrant chez lui, pour ne plus jamais revenir sur la scène politique nationale française. Il était déjà bien loin lorsque Napoléon prit le pouvoir absolu en 1799.
Le voici en 1804 entouré de sa famille au Musée d'Art et d'Histoire de Provence :

Ses opinions semblent avoir continué à évoluer avec le temps. En 1802, il publia un pamphlet intitulé « De l'immortalité de l'âme », faisant l'éloge du catholicisme. En 1804, un autre de ses pamphlets soutenait avec enthousiasme le nouvel empire de Napoléon. Sa loyauté, désormais pleinement rétablie, fut récompensée par sa nomination au titre de baron héréditaire de l'Empire en 1811.
Pourtant, en 1816, après la restauration de la monarchie, lorsqu'une loi fut votée interdisant ceux qui avaient voté pour l'exécution de Louis XVI, il réussit à s'échapper à nouveau, prétendant avoir été royaliste depuis toujours !

Il mourut dans son lit en 1825. À Grasse, c'est peut-être son image qui figure sur le mur du hall et de l'escalier de la Villa Musée Jean-Honoré Fragonard, comme l'un des symboles de la Révolution. Je remercie le guide Gilles Burois (dont la main tient ici une image de Maximin à côté de l'illustration murale) pour sa description très intéressante de l'iconographie de ces décorations, dans un style graffiti, qui pourraient avoir été réalisées par Fragonard lui-même.
La famille Isnard est présente tout au long de l'histoire de Grasse. Des fleurs sont toujours cultivées et développées pour la parfumerie à la Bastide Isnard, dans le quartier Saint-Christophe (voir www.isnardgrasse.com ), tandis que le Groupe Isnard, situé au Plan de Grasse, est spécialisé dans la distribution, le stockage et la fabrication de parfums.
Paroles de « Vicar of Bray »
Dans la chanson ci-dessous, « Charles » désigne Charles II, le premier roi après la période de la guerre civile anglaise, et « royal James », son frère James II, qui était largement soupçonné d'être catholique. Il fut renversé lors de la « Glorieuse Révolution » et remplacé par un protestant néerlandais, « William ». À sa mort, sa belle-sœur Anne lui succéda et les Tories (le parti de la royauté) arrivèrent au pouvoir, mais lorsqu'elle mourut à son tour sans héritier, « George », le Hanovrien George Ier, prit la relève. Son accession au trône fut manipulée par l'opposition et le parti aristocratique des Whigs.
1. À l'époque dorée du bon roi Charles, quand la loyauté ne signifiait aucun mal,
J'étais un ecclésiastique zélé, et c'est ainsi que j'ai obtenu une promotion.
Pour enseigner à mon troupeau, je n'ai jamais manqué : les rois sont désignés par Dieu
Et maudits soient ceux qui osent résister ou toucher les oints du Seigneur.
(Refrain) :
Et telle est la loi que je maintiendrai jusqu'à mon dernier souffle, monsieur.
Quel que soit le roi qui règne, je resterai le vicaire de Bray, monsieur.
2. Lorsque le roi Jacques porta la couronne et que le catholicisme devint à la mode,
Je huai les lois pénales et lus la Déclaration.
J'ai trouvé que l'Église de Rome correspondait parfaitement à ma constitution
Et j'aurais été jésuite, sans la Révolution.
3. Lorsque Guillaume fut déclaré roi, pour apaiser les griefs de la nation,
Je me suis adapté à ce nouveau vent et lui ai juré allégeance.
J'ai renoncé à mes anciens principes ; j'ai mis ma conscience de côté,
L'obéissance passive était une plaisanterie, la non-résistance une farce.
4. Lorsque la reine Anne devint notre souveraine, gloire de l'Église d'Angleterre,
Une autre facette des choses apparut, et je devins conservateur.
Je blâmais la modération des conformistes occasionnels,
Et pensais que l'Église était en danger à cause de telles tergiversations.
5. Lorsque George arriva à l'époque des puddings, et que les hommes modérés semblaient importants, monsieur,
Je changeai une fois de plus mes principes, et devins libéral, monsieur.
Et c'est ainsi que j'ai obtenu une promotion de la part du défenseur de notre nouvelle foi,
Et presque chaque jour, j'ai abjuré le pape et le prétendant.
6. À l'illustre maison de Hanovre et à la succession protestante,
Je jure allégeance, tant qu'ils pourront conserver leur pouvoir.
Car dans ma foi et ma loyauté, je ne faiblirai plus jamais,
Et George sera mon roi légitime, jusqu'à ce que les temps changent.


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