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Grasse et la Révolution

  • Photo du rédacteur: Tom Richardson
    Tom Richardson
  • 4 oct.
  • 7 min de lecture

En 1789, Grasse était la plus grande ville de l'est de la Provençe. Ses sympathies étaient majoritairement royalistes et ses affaires étaient contrôlées localement par un groupe oligarchique de riches marchands. Elle abritait un nombre disproportionné de maisons religieuses et de couvents, ainsi qu'une importante population d'artisans, de commerçants et d'autres habitants. C'était l'époque de la révolution philosophique et politique connue sous le nom de « Siècle des Lumières ». Cependant, les années 1780 avaient connu une série de mauvaises récoltes, tant à Grasse qu'en France.


Un Jean-Joseph Mougins-Roquefort à l'air plutôt inquiet
Jean-Joseph Mougins-Roquefort, l'air plutôt inquiet, dans une image provenant de la collection nationale de Versailles.

La Révolution débuta lorsque Louis XVI fut contraint de convoquer les États généraux à Paris en 1789. Ses représentants venus de Grasse, deux frères du nom de Mougins-Roquefort, étaient issus des oligarques. Libéraux des Lumières, ils devinrent membres de la nouvelle Assemblée nationale, qui nationalisa les biens de l'Église catholique et soumit le clergé à une nouvelle constitution. Elle convoqua également des élections locales avec un droit de vote élargi, mais toujours restreint.


À Grasse, l'effet initial semble avoir surtout concerné la religion. L'élection a porté au pouvoir un nouveau maire, toujours issu des rangs des oligarques, qui s'est également empressé de racheter les édifices religieux de la ville, dont leurs occupants ont été sommairement expulsés. Mais l'évêché de Grasse a été supprimé (notre cathédrale n'a techniquement plus eu ce statut depuis) et les pauvres de la ville ont perdu l'accès aux services sociaux jusque-là assurés par les couvents. Les prêtres n'adhérant pas à la nouvelle constitution, appelés « insermentés », ont été persécutés.


Les guerres révolutionnaires

Après le choc initial, l'impact le plus marqué de la Révolution à Grasse, certainement au cours des années intermédiaires, résulta de sa proximité avec la frontière sud-est de la France. Les révolutionnaires étaient unis par la nécessité d'exporter la Révolution vers les pays voisins. En 1792, la guerre fut déclarée entre la France et une « Première Coalition » de monarchies, menée par l'Autriche et la Prusse.


Une « Armée du Var » révolutionnaire envahit le comté de Nice, alors membre de la coalition royaliste, le royaume de Sardaigne. L'armée réquisitionna des recrues, de la nourriture, des provisions, des bêtes de somme, des uniformes et des bottes, de la poudre à canon et même des épouses des malheureux Grassois. Deux des anciens couvents devinrent des hôpitaux militaires aux frais de la ville. Combats et réquisitions continuèrent pendant deux ans, jusqu'à ce qu'à la suite d'une victoire française près du village de Saorge, dans la haute vallée de la Roya, un traité soit conclu avec la Sardaigne-Piémont cédant Nice à la France. Même après cela, la rébellion naissante des habitants mécontents des hautes montagnes, connus sous le nom de « Barbets », puis les campagnes de Napoléon en Italie de 1796-1797 continuèrent de pousser Grasse à soutenir l'armée.


Sur mer, les importations et exportations de Grasse furent fortement perturbées par la domination de la Marine britannique, ce qui culmina avec la chute du port-forteresse de Toulon en août 1793 face aux rebelles royalistes soutenus par les Espagnols et les Britanniques. En décembre, ils furent de nouveau expulsés, en grande partie grâce aux efforts du jeune Napoléon Bonaparte, mais la flotte française fut détruite par les Britanniques lors de leur retrait, et la navigation méditerranéenne dont Grasse dépendait mit des années à se reconstituer.

Destruction de la flotte française, Toulon, 18 décembre 1793, par Thomas Whitcombe.
Une illustration assez dramatique de la destruction de la flotte française, à Toulon, le 18 décembre 1793. L'artiste était Thomas Whitcombe.

La politique locale sous la Révolution

À Grasse, la politique devint une lutte entre les oligarques, bénéficiaires de la vente des biens ecclésiastiques mais favorables au statu quo, et le reste de la population, peu avantagée par la Révolution. Lors d'une réunion légendaire tenue sous un figuier du quartier de Ribes (Saint-François) en 1791, un groupe de commerçants, d'artisans et d'ouvriers forma la Société Populaire de Grasse (autrement appelée « Club de la Figuière »).


Pendant la majeure partie des années 1791-1799, ce sont les oligarques, qui dans les termes les plus larges étaient alignés sur les Girondins (en fait l'aile droite de la révolution) à Paris, qui ont continué à conserver le pouvoir, mais il y a eu deux périodes où le parti populaire, qui était l'équivalent local des Montagnards de Paris (également connus plus tard sous le nom de Jacobins) a pris le dessus.


Décoration sur le mur d'une chambre de l'Hôtel de Pontèves (le MIP)
Décoration sur le mur d'une chambre de l'Hôtel de Pontèves (le MIP) qui existe encore aujourd'hui.

Le règne de la Terreur

Pendant douze mois à partir du milieu de l'année 1793, durant la Terreur à Paris, Grasse fut soumise à sa propre version, sous la direction d'un maire montagnard nommé Pierre Girard cadet. Comme Lénine et Staline bien plus tard, il portait un pseudonyme révolutionnaire : « Barbette ».


Grasse était devenue, pour une courte période, la capitale du tout nouveau département du Var. Son administration était installée dans l'hôtel de Pontèves (aujourd'hui le bâtiment principal du Musée international de la Parfumerie). Une guillotine fut dressée place Clavecin et fit trente victimes, dont une seule était originaire de Grasse : un malheureux cordonnier du nom d'Honoré Trabaud.


Plaque commémorative aux victimes de la guillotine de Grasse pendant la Terreur.
Plaque commémorative moderne dédiée aux victimes de la guillotine de Grasse pendant la Terreur. Elle se trouve dans le jardin d'orangers du MIP. Même une religieuse âgée de 71 ans figurait parmi les personnes exécutées.

Après la chute de Robespierre en juillet 1794, les chefs montagnards de Grasse furent arrêtés et à partir de 1795 les oligarques furent de retour, certains services religieux étant autorisés.

Un pilier massif de la cathédrale de Grasse présente encore des traces de dégâts causés par un incendie datant de 1795
Certains des piliers massifs de la cathédrale, comme celui-ci, portent encore les traces des dégâts causés par l'incendie de 1795.

Cependant, en septembre 1795, un incendie détruisit la majeure partie du contenu de la cathédrale désaffectée (elle servait alors d'entrepôt) et endommagea certains piliers.


La seconde venue de la gauche

Début 1797, la droite avait pris le pouvoir, le figuier totémique des Ribes avait été arraché et brûlé, et l'Arbre de la Liberté, devant la cathédrale, abattu. Mais son succès fut brutalement interrompu par un coup d'État parisien en septembre, baptisé « Fructidor » en raison du mois révolutionnaire où il eut lieu. Soutenu par Napoléon Bonaparte, il ramena temporairement les Montagnards et Barbette au pouvoir. Suite à plusieurs assassinats de personnalités pro- et anti-Montagnards, les Grassois baptisèrent le mois du coup d'État « le Septembre des Égorgeurs ».


Vivre à Grasse pendant la Révolution

L'un des principaux déclencheurs de la Révolution fut la mauvaise récolte, et les Grassois furent durement touchés par un hiver rigoureux en 1788-1789, après quoi les oligarques de la ville apportèrent du blé, comme ils l'avaient parfois fait auparavant, pour pallier une éventuelle famine. Mais la Révolution aggrava considérablement la vie à Grasse par une combinaison de changements de régime, de fluctuations politiques, d'exigences militaires et de la suppression du clergé régulier (c'est-à-dire basé dans les couvents).

Maison de ville médiévale sur la place des Sœurs, Grasse
Il est probable que le blason original qui ornait cette porte d'entrée de cette magnifique maison médiévale de la place des Sœurs ait été effacé pendant la Révolution.

L'une des principales industries de la ville, le tannage, faillit disparaître à cette époque, sous l'effet conjugué d'une fiscalité exorbitante et de l'interruption de l'approvisionnement en peaux brutes par voie maritime, laissant de nombreux travailleurs sans le sou. En 1802, Grasse ne tannait plus qu'un dixième du volume de peaux qu'elle produisait normalement avant 1790.


La parfumerie, qui était une activité modeste mais en pleine expansion avant la Révolution, souffrit également de la perte immédiate de ses marchés aristocratiques, et les entreprises connexes, comme la fabrication d'alambics, furent elles aussi durement touchées. Mais comme le luxe semble toujours prévaloir (et que l'ambiance urbaine était encore palpable !), à partir de 1795 environ, la demande recommença à croître, notamment auprès des nouvelles classes dirigeantes.


Même le commerce d'huile et de savon de la ville fut affecté, notamment par le blocus naval anglais.


Il n'existe aucun moyen objectif de mesurer la prospérité à l'époque, mais la population de la ville, en particulier les plus pauvres, a beaucoup souffert. À titre d'indicateur, le prix du pain est passé de 2 sous la livre en 1790 à 6-7 sous en 1793, atteignant des sommets encore plus importants lors des crises d'approvisionnement récurrentes. La Révolution à Grasse n'avait rien de romantique !


Signes de survie

Outre les chambres du MIP (l'ancien Hôtel Pontèves), il existe deux endroits dans les environs où l'on peut encore facilement voir des symboles de la Révolution.


Le grand peintre Jean-Honoré Fragonard, ancien peintre de la cour de Louis XVI, se réfugia en 1790 dans la maison de son oncle Alexandre Maubert, aujourd'hui la Villa Musée Fragonard. Peut-être malgré lui (voir mon blog ici ), il décora le couloir d'images symboliques. Vous en verrez deux ci-dessous.

La déesse Minerve sur un mur du couloir de la Villa Fragonard, Grasse
La déesse Minerve sur un mur dans le couloir de la Villa Fragonard. Des figures telles que Minerve symbolisaient la sagesse du gouvernement, la vertu républicaine et le triomphe du peuple sur la tyrannie.
Symboles révolutionnaires sur un mur dans le couloir de la Villa Fragonard, Grasse
Symboles révolutionnaires sur un autre mur. Au centre se trouvent les faisceaux romains (d'où vient notre terme moderne « fasciste »), symbolisant l'unité par le pouvoir collectif (une tige se brise facilement, mais pas un faisceau). Le triangle et les cercles à droite représentent la raison et le progrès scientifique, éléments clés de la pensée des Lumières. Les lances et les haches croisées représentent la lutte et la défense..

En 1799, une fontaine fut installée sur le Cours (aujourd'hui Cours Honoré Cresp), qui arbore des images révolutionnaires fortes. Deux de ses faces apparaissent en contrebas ; les deux autres célèbrent « la prospérité de l'État » et « la défense de la patrie ». D'autres photos de la fontaine sont disponibles dans mon article sur La Foux ici.

Fontaine, Cours Honoré Cresp, Grasse
(À gauche) Cette face de la fontaine célèbre les « richesses du peuple » issues de l'agriculture. Elle comporte des symboles tels que le blé, le raisin, la faucille et la faux. Elle ne comporte aucun élément royal ou religieux. La sculpture évoque probablement les idéaux romains et républicains : ordre, vertu et simplicité. (À droite) Sur une autre face, « Les arts perfectionnent la nature ». Une idée des Lumières était que la créativité humaine peut affiner et élever le monde naturel. Les symboles comprennent le compas et l'équerre de la franc-maçonnerie et le triangle (trinité) des valeurs révolutionnaires : Liberté, Egalité, Fraternité.

La fin de la Révolution

La Révolution est généralement considérée comme ayant pris fin avec le coup d'État de Brumaire de Bonaparte en novembre 1799. À Grasse, elle entraîna l'arrestation de Barbette et le retour d'une grande partie du statu quo pré-révolutionnaire - même les Mougins-Roquefort revinrent.


Une plus grande stabilité du gouvernement, favorisée par le « concordat » de Napoléon de 1801 avec le pape, qui apaisa les tensions religieuses, permit progressivement à Grasse de se redresser économiquement. Les parfumeries se développèrent fortement, surtout après l'accession de Napoléon à l'empereur et la création d'une nouvelle aristocratie impériale. Il semble peu probable que de nombreux Grassois aient regretté la fin de la période révolutionnaire, mais un signe suggère que certains l'ont regretté.

Plaque à MJ Guidal, rue de l'Oratoire, Grasse
Plaque dédiée à M. J. Guidal, rue de l'Oratoire

Dans la rue de l'Oratoire, l'arche menant à la Maison du Patrimoine arbore une plaque apposée par le Comité républicain de la circonscription de Grasse . Elle commémore le lieu de naissance et d'exécution de Maximin Guidal. Général révolutionnaire grassois, il participa à un complot avorté visant à renverser Napoléon en 1812. Son groupe estimait que l'empereur avait trahi les principes de la Révolution, et ce comité local partageait clairement cet avis.

 
 
 

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