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Le général napoléonien de Grasse et le retour de l'île d'Elbe

  • Photo du rédacteur: Tom Richardson
    Tom Richardson
  • 30 avr. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 7 jours

Maison gazaouine rue Gazon, Grasse
Hôtel Particulier Gazan, rue Gazan (rue de Commune, lorsque le général y habitait)

Lors de nos deux récentes visites guidées de Grasse (merci Gilles et Laeticia !), nous sommes passés devant une maison de ville du XVIIIe siècle (aujourd'hui transformée en appartements) rue Gazan, entre la rue Droite et la cathédrale. Elle appartenait autrefois à la famille Gazan. L'immeuble vient d'être repeint et il est du plus bel effet.


Au-dessus de la porte richement sculptée subsiste encore l'insigne du chef de famille, le général Honoré Théodore Maxime Gazan (1765-1845). Son histoire personnelle est liée au tronçon bd Jeu du Ballon de la Route Napoléon, situé un peu plus au nord.

Door of Hotel Gazan, Grasse
Porte de l'hôtel Gazan, rue Gazan

Contrairement à son quasi-contemporain grassois, Maximin Isnard , Gazan, en tant que soldat, s'est peu impliqué en politique durant les longues années tumultueuses qui se sont écoulées entre la prise de la Bastille en 1789 et le retour définitif de la royauté en 1815.


Heureusement pour lui, il n'avait qu'une vingtaine d'années et s'engagea dans l'armée au début des années 1790, une période marquée par de nombreux affrontements. Il se distingua d'abord dans les armées révolutionnaires de cette décennie, devenant colonel en 1794 puis général de brigade en 1799. Sous le régime napoléonien, il servit comme major-général en Suisse puis en Italie. Il participa aux victoires de Napoléon aux batailles d'Ulm et d'Iéna et fut fait comte en 1808.


Il participa ensuite à la guerre d'Espagne. Bien sûr, il se retrouva finalement du côté des perdants et fut en partie tenu responsable de la défaite à Vitoria, la dernière victoire de Wellington en Espagne. On trouve ici une description longue, détaillée et, à moins d'être un passionné d'histoire militaire, plutôt ennuyeuse de sa carrière de soldat.


Après l'abdication de Napoléon, Gazan fut honoré par le nouveau régime de Louis XVIII, qui avait besoin des talents d'hommes comme lui, mais il choisit de retourner à Grasse en 1814. Le voici, au Musée d'Art et d'Histoire de Provence à Grasse, peint par Charles Nègre, originaire de Grasse.

Portrait du général Gazan par Charles Nègre, Musée d'Art et d'Histoire de Provence, Grasse
Portrait du général Gazan par Charles Nègre (MAHP)

Le cartel du musée situe la toile entre 1839 et 1860, mais il me semble plus probable qu'elle ait été peinte du vivant de Gazan, d'autant plus que Nègre s'était largement tourné vers la photographie dès 1850. Ce n'est pas un chef-d'œuvre, certainement pas comparable au « Quartier des Moulins » de Nègre, véritable bijou, mais bon, il faut bien qu'un artiste gagne sa vie !


Le retour de Napoléon

Napoléon revint de son premier exil à l'île d'Elbe en 1815. Il ne disposait que d'un millier d'hommes environ et était loin d'être certain de l'accueil qui lui serait réservé, surtout en Provence. Aussi, plutôt que d'emprunter la voie évidente de la vallée du Rhône, il pénétra en France par la « porte dérobée ». Il débarqua sur une plage déserte à Golfe-Juan et marcha d'abord jusqu'au petit village de pêcheurs de Cannes.


Lors de son voyage à l'intérieur des terres, en direction de Grenoble à travers les montagnes, la première ville d'une certaine importance qu'il rencontra fut Grasse.

Jeu de Ballon et Route Napoléon, Grasse
Presque impossible à imaginer aujourd'hui, mais ces bâtiments du boulevard Jeu du Ballon se trouvent à peu près à l'endroit où se dressaient les remparts du XIVe siècle lorsque la petite colonne de Napoléon passa devant eux.

Craignant de ne pouvoir ressortir s'il franchissait les portes de la ville, il la longea à l' extérieur des remparts, par l'actuel boulevard du Jeu du Ballon. Il fit une brève halte à Grasse, puis poursuivit sa route via Saint-Vallier-de-Thiey jusqu'à Séranon où il passa la nuit.


Dans le deuxième volume de son histoire de Grasse * , l'un de nos historiens locaux, Émile Litschgy, raconte ce qui s'est passé.


Le maire de l'époque, Lombard de Gourdon, ayant appris le débarquement de Napoléon, et fidèle royaliste, il mit la Garde nationale et la gendarmerie locales en état d'alerte. Il organisa des patrouilles autour de la ville et convoqua le plus haut gradé de Grasse, le général Gazan. Il passa ensuite la nuit du 1er mars à la mairie, attendant de voir la suite des événements.


Napoléon approcha de Grasse à 8 heures du matin le 2 mars. Empruntant l'actuel boulevard du Jeu de Ballon, il ne prit aucun risque et resta hors des remparts. Son objectif était de rejoindre Grenoble en traversant les montagnes. Il croyait cependant qu'il existait une route praticable de Grasse à Castellane. En réalité, il n'y avait qu'un chemin muletier, et il dut abandonner sa voiture. Pendant ce temps, les habitants et le maire, craignant de se tromper de camp, gardaient le silence.


Napoléon envoya son aide de camp principal, le général Cambronne, à la recherche de Gazan. Cambronne frappa apparemment à la porte de sa maison en criant : « Dis-y que c'est Cambronne… Dis-y que c'est un lâche ! » Mais Gazan avait disparu. Comme par hasard, il se trouvait dans sa résidence de campagne, La Peyrière, près de Mougins.


Après avoir reçu un poulet rôti pour son déjeuner de la part d'un aubergiste de la Place aux Aires, Napoléon poursuivit son voyage par le Plateau Roquevignon (aujourd'hui le Plateau Napoléon).


On comprend aisément la réflexion de Gazan. Comme tout le reste de l'armée, il était en proie à un conflit intérieur. Devait-il se rallier à Napoléon tout en restant fidèle aux Bourbons ? Un retour à la dictature militaire était-il préférable à l'absolutisme royaliste et à l'incompétence ? Une mauvaise décision pouvait lui valoir l'exil, la prison, voire pire. Après le ralliement de l'armée à Napoléon et la fuite de Louis XVIII, Gazan semble avoir opté pour Napoléon, tout en restant indécis, séduit par son titre de pair et affecté à un poste à l'écart des combats.


Lombard de Gourdon comprit rapidement que son ambivalence avait échoué. Il fut sommairement remplacé par un maire napoléonien le 31 mars. Mais après Waterloo, et après une brève occupation par des troupes piémontaises qu'il fallut payer pour qu'elles partent grâce à une levée de fonds auprès des habitants, il recouvra son poste.


Gazan survécut au retour de la monarchie et parvint même à se récuser comme juge auprès d'un tribunal créé par Louis XVIII pour condamner son ancien supérieur, le maréchal Ney (sans toutefois parvenir à ses fins, Ney ayant été fusillé). Mais en 1816, il fut démis de ses fonctions de général et de pair. Puis, en 1830, la situation politique française changea à nouveau et, suite à un nouveau changement de régime, le roi Louis-Philippe lui restitua son titre de comte de La Peyrière et le nomma de nouveau général.


Il mourut à Grasse, on l'espère dans son lit, dans sa maison de la rue Gazan, en 1845. Il est commémoré non seulement par le nom de sa rue ici, mais aussi par une plaque dans une autre rue Gazan, cette fois à Antibes, emplacement d'origine d'une caserne militaire qui portait son nom.

Memorial plaque to Theodore Gazan, Antibes
Plaque commémorative dédiée à Théodore Gazan, rue Gazan, Antibes

Ainsi, la route empruntée par Napoléon passait près de Grasse, et non à travers elle, et son soldat le plus distingué de l'époque était assez ambivalent quant au retour de son empereur !


« On lui disait. Maubert-la-pièce », Emile Litschgy, 2000, TAC Motifs. Les livres de Litschgy relèvent davantage du récit et de l'évocation que de l'histoire rigoureuse ; il convient donc d'aborder celui-ci avec une certaine prudence.


 
 
 

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